Homélie du 4e dimanche de l’avent – fr Lionel Gentric – 20 décembre 2020

La première lecture de ce jour est très instructive, et très éclairante sur le sens du mystère de l’Incarnation.

David, le jeune roi David, a été sacré roi d’Israël à Hébron. C’est de là qu’il va partir en campagne, après sept années de règne, contre les Jébuséens qui habitent la ville de Jérusalem. La campagne est victorieuse et David s’empare de la forteresse de Sion, qui va devenir la capitale de son royaume. Peu de temps plus tard, David disposera d’une demeure, d’une maison à Jérusalem : la deuxième partie de son règne, la plus longue, commence. Et c’est alors que l’on se souvient que, pendant tout ce temps de l’installation du roi à Jérusalem, l’arche de Dieu est restée stationnée à Hébron. Et vous connaissez peut-être cet épisode très coloré, très festif de la montée de l’arche de Dieu à Jérusalem, avec David qui danse en tournoyant devant l’arche de Dieu… L’arche trouve place dans une tente dressée pour elle par David.

Et c’est alors que David va concevoir le projet de construire un temple de pierre, qui soit à la hauteur. Une maison pour le Seigneur. Dans un premier temps, le prophète Nathan, consulté par David, donne sa bénédiction. Mais dans la nuit, Dieu se manifeste et vient porter un message surprenant. Grosso modo : « Toi, David, me construire une maison de pierre ? Même pas en rêve ! D’abord, je ne t’ai rien demandé. Ensuite, je n’aime pas du tout l’idée d’être assigné à domicile. Et enfin, ne cherche pas à renverser les rôles : depuis les premiers temps de l’Alliance, c’est moi qui m’occupe de vous… et je n’ai pas besoin que vous commenciez à jouer les nounous ! ».

Ce texte est en fait très important, parce qu’il n’est pas isolé. Il appartient à un corpus important qui traverse l’Écriture sainte et qui nourrit une grande méfiance à l’égard du Temple et de la pierre. Dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament. Dans les Évangiles je vous renvoie bien sûr à ce cri de Jésus : « Détruisez-moi ce Temple, et moi, en trois jours, je le rebâtirai. » Et le Temple dont il parlait, c’était son corps.

Le Temple véritable, c’est le peuple de Dieu, c’est le cœur des hommes. Et d’une manière à la fois unique et exemplaire pour chacun d’entre nous, c’est le sein de la Vierge Marie. Le Temple véritable est un temple palpitant, un temple frémissant, un temple capable de joie et de douleur, un temple capable d’être bouleversé, retourné, par une salutation inattendue : « Je te salue, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ».

Dieu veut résider auprès de son peuple, au plus près de lui. Et il comprend bien que le projet de David part peut-être d’une bonne intention, mais le temple que le roi projette de construire va trop à contre-courant de ce que Dieu a manifesté vouloir être pour son peuple et au milieu de son peuple. Depuis le début de l’histoire, une simple tente a fait l’affaire. Dieu n’en a jamais demandé davantage… Cette tente manifeste si bien que Dieu veut être présent au milieu de nous. Ce qu’il demande c’est qu’on écoute sa parole et que chacune de nos vies en soit comme une caisse de résonance. L’acoustique que Dieu préfère n’est pas celle des cathédrales : c’est celle de la vie de chacun d’entre nous. Les vitraux que Dieu préfère ne sont pas faits de verre : chaque vie d’homme doit laisser passer la lumière.

Il en est une au cœur du peuple de Dieu qui a accueilli comme nulle autre la présence de Dieu au cœur de sa vie : c’est la Vierge Marie, dont la vie toute entière a été traversée de part en part par la grâce de Dieu. Il y a à la fois quelque chose d’unique en Marie, mais il y a aussi de l’exemplaire car la Parole de Dieu aujourd’hui encore se fait chair, veut se faire chair, demande délicatement à se faire chair. Dieu voudrait s’inviter chez nous. « Je te salue… Réjouis-toi… Le Seigneur est avec toi… »

Le récit de l’Annonciation rejoint notre histoire, ou pour mieux dire chacune de nos histoires. Que Dieu appelle à lui, c’est d’aujourd’hui, pas seulement d’hier. Aujourd’hui encore, il vient à nous, il nous parle, parce que la Parole de Dieu est éternellement actuelle, elle est pour nous. Elle ne s’impose pas. Elle se présente à nous avec la même délicatesse que celle de l’Ange murmurant à l’oreille de Marie : « Je te salue… Réjouis-toi… Le Seigneur est avec toi… » Le Verbe de Dieu attend notre consentement, pour naître à nouveau en ce monde, établir sa demeure parmi nous, poser sa tente. Ça ne prend pas de place une petite tente dans un jardin, sur une terrasse, sur un balcon, même. Peu importe. Dieu est bien, là, pourvu qu’il soit près de nous et que nous lui laissions une petite place dans notre intimité. C’est là qu’il est le mieux, même si bien sûr il ne dédaigne pas nos assemblées, nos églises, nos cathédrales. Mais peu importe l’écrin dans le fond.

Notre pauvre église de béton, construite à bas prix en 1930 – les frères n’avaient pas d’argent –, notre pauvre église de béton lui convient tout aussi bien que la Sainte Chapelle. Elle lui convient mieux peut-être parce qu’ici des hommes et des femmes viennent prier tous les jours. Mais même cette église, n’en faisons pas tout une affaire, ou pas plus qu’il ne faut. C’est la base arrière de Dieu, mais pas sa résidence principale. Et si jamais il devait arriver dans les jours et les semaines qui viennent que cette église ferme à nouveau ses portes pendant quelque temps, soyons sûrs, frères et sœurs, que le Seigneur sera toujours avec nous, de quelque côté de la porte que nous nous trouvions. Dans la première lecture de ce jour : « J’ai été avec toi partout où tu es allé ». Et dans le prologue de Saint Jean : « Et la parole devint chair et dressa sa tente parmi nous » (Jn 1, 14). »

Voilà la bonne nouvelle que ces fêtes de Noël qui approchent nous invitent à accueillir. Il y a de la place chez toi pour lui. Et c’est là qu’il veut venir, même si tu n’as pas d’encensoir à la maison, ni de grandes orgues. Un écho sur tes lèvres du Magnificat le comblera.

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