Homélie du 7e dimanche de Pâques – fr Bernard Durel – 16 mai 2021

Lectures : Actes 1, 15-26
1 Jean 4, 11-16
Jean 17, 11b-19

« Je leur ai donné ta parole et le monde les a pris en haine, parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. » Quand Jésus adresse ces paroles aux siens réunis au cénacle, il ne lui reste que quelques heures avant d’être chassé, expulsé de ce monde. Il s’adresse à eux, il s’adresse tout autant à nous, rassemblés aujourd’hui dans notre cénacle, ici à Strasbourg. Aussi est-il de la plus haute importance de pénétrer le sens de ses paroles.

Si nous n’appartenons pas au monde, c’est parce que Jésus lui-même n’appartient pas au monde. C’est vrai dès les débuts : incognito dans sa vie cachée à Nazareth. Il est alors la voix silencieuse qu’Élie a entendue à l’Horeb, quand ouragan et tremblement de terre se sont tus. Ensuite, au long des évangiles, bien avant la rupture ultime au Golgotha, Jésus ne cesse de manifester que dans le monde il n’appartient pas au monde. Ses propos, ses comportements, ses actions surprennent, troublent, choquent plus d’une fois …`Les autorités de ce monde finiront par l’écarter, l’éliminer. Quelques semaines après Pâques, nous avons en mémoire vivante le récit de sa passion. Nous nous souvenons aussi de sa liberté par rapport aux rites du peuple (lavement des coupes, lavement des mains et même le saint sabbat). Nous nous souvenons aussi de l’accueil qu’il donne à la pauvre veuve au trésor du Temple, au centurion romain, à la femme adultère, au collecteur d’impôts, etc. Nous pensons aussi aux héros étonnants de certaines paraboles : l’homme qui truque les reçus de son maître, les ouvriers de la onzième heure, celui qui abandonne quatre-vingt-dix- neuf brebis pour aller chercher la centième, et il y en a bien d’autres. Que de ruptures !

Et déjà, dans le sermon sur la montagne : « On vous a dit, … moi je vous dis… ». Il l’a dit on ne peut plus clairement : « Je suis la Vérité », dans un monde largement colonisé par le mensonge (et pas seulement à l’époque des Romains …), un monde où il pouvait dire : « Malheureux êtes-vous lorsque les hommes disent du bien de vous … »

Il n’appartient pas à ce monde et il donne aux siens de partager cette non-appartenance. Bientôt nous le redirons dans notre prière : « Seigneur Jésus-Christ, tu as dit à tes apôtres : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (pas celle que le monde donne !).

Il appartient donc au monde nouveau, qu’il appelle habituellement le Royaume. Il est vraiment le « premier-né d’entre les morts ». Tous ceux qui participent à cette deuxième naissance ne peuvent que se reconnaître dans ces paroles que je vos redonne : « le monde les a pris en haine, parce qu’ils n’appartiennent pas au monde ».

Revenons maintenant à notre première lecture et aux choix de Matthias pour prendre la place manquante laissée par Judas. Cet épisode est finalement assez anecdotique, et on ne reparlera plus des douze, qui ne se prolongeront pas en une nouvelle institution. On en serait resté aux structures de l’Ancienne Alliance et Paul n’aurait pas pu être apôtre. Alors qu’on voit, dans les Actes, comment celui qui n’a pas connu Jésus « selon la chair », l’avorton, comme il le dit de lui-même, est accueilli par les piliers, Pierre et Jacques.

Les « onze + un » appartiennent à la fondation, au fondement. Le critère est précis, strict, définitif : « il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection ».

Soyons clairs ! Pilate, Hérode, Caïphe et beaucoup d’autres à Jérusalem n’ont pas vu le Ressuscité et ne pouvaient pas le voir (ils appartenaient au monde). Les douze ont vu le Ressuscité, mais aussi les cinq cents frères (un clin d’œil : je crois qu’il y avait des sœurs parmi eux). Mention unique et étonnante que ces cinq cents, propre à Paul, qui évidemment n’y était pas…

Une parenthèse d’actualité. Devant les insuffisances de notre démocratie, notamment en ce qui concerne les questions du long terme, on évoque ici et là une assemblée supplémentaire dont les membres seraient « tirés au sort ». La première Église l’a fait. Il s’agissait justement du très long terme : la résurrection de tous et de toutes …

Ce que j’ai appelé long terme est en réalité déjà là. L’un des témoins nous le dit au présent – c’est notre deuxième lecture : « Quant à nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde… Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui », sans tarder.

Et c’est de ceux-là (de nous) que parlait notre évangile : « le monde les a pris en haine, parce qu’ils n’appartiennent pas au monde », c’est-à-dire au monde de la haine et du mensonge.

Frères et sœurs, que l’Esprit de la Pentecôte nous donne en plénitude de voir toujours mieux où nous sommes et qui nous sommes. Cela s’appelle conversion, en grec, metanoia, nouvelle connaissance, plein accueil de la Bonne Nouvelle.

fr Bernard Durel, O.P.

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