Homélie du 6e dimanche du Temps Ordinaire – frère Bernard Durel – 14 février 2021

Frères et sœurs,

Il y a trois ans, en ce sixième dimanche du temps ordinaire, certains d’entre nous étaient sans doute dans cette église, assis côte à côte (presque épaule contre épaule, comme à la mosquée), et nous entendions ces mêmes lectures. On peut, sans malveillance, faire l’hypothèse que nous écoutions notre première lecture, du livre des Lévites, d’une oreille plutôt distraite avant de nous concentrer sur l’évangile.

À vous voir ainsi, assis à distance les uns des autres, masqués, je me dis qu’il ne peut plus en être ainsi cette année : « Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage et criera : Impur ! Impur ! Il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp ».

Soudain Jésus se trouve confronté à ce même scénario qui cette année nous apparaît moins abstrait, hypothétique, distant, moins exotique en quelque sorte… Regardons cela de plus près ! Nous sommes tout au début de l’évangile de Marc. Comme nous l’avons vu ces derniers dimanches, Jésus a déjà remué les foules galiléennes en opérant guérisons, expulsions de démons, proprement inouïes. Notre lépreux en a été témoin ou en a eu connaissance de quelque façon. Attente et confiance sont nées en lui : « SI tu le veux, tu peux me purifier. » Hier encore, il n’aurait pas pu rêver de dire cela à quelqu’un …

Jésus le rencontre, hors du camp évidemment. Il n’y aura donc pas de témoins. Jésus le voit et voit qu’il est prêt. Comme c’est plus d’une fois le cas, Jésus est alors saisi de compassion. Avant de toucher lui-même le lépreux, Jésus est ainsi touché lui-même par le lépreux. Il ne peut plus s’en éloigner. Dans une formule provocante, Maître Eckhart dit ainsi : « L’homme humble contraint Dieu ».

Et le pape François, aujourd’hui, de dire : « Jésus réagit à cette prière humble et confiante par la compassion. – Le mot « compassion » est très fort : il signifie « souffrir avec l’autre » (il a perdu beaucoup de sa force aujourd’hui) – (je reprends les paroles du pape François : Le cœur du Christ manifeste la compassion paternelle de Dieu pour cet homme, s’approchant de lui et le touchant… La miséricorde de Dieu franchit toute barrière et Jésus touche le lépreux. Il ne se place pas à une distance de sécurité, mais il s’expose directement à la contagion de notre mal; lui, Jésus, prend de nous notre humanité malade et nous prenons de lui son humanité saine et qui guérit. »

Comme le mot compassion, le mot contagion a pris un sens étroit mais on peut aussi parler d’une « contagion du bien » – sans vaccin, celle-là.

Guéri, notre homme va alors accomplir le rituel pour toute guérison. Là, il s’avance publiquement devant Dieu et devant les hommes. Jésus n’est évidemment plus là. Il a comme toujours repris sa route. Voilà, on aurait pu en rester là…

Mais voilà que notre homme, sans malveillance ni esprit « complotiste », ne peut pas contenir sa joie et sa reconnaissance. Arrive alors à nouveau ce qu’on a déjà entendu de la bouche de Simon et des autres : « Tout le monde te cherche »… Jésus va faire peu à peu l’expérience, surtout au début des évangiles, du risque d’un malentendu. Son but n’est d’aucune façon de rassembler les foules. Il va de plus en plus se centrer sur les douze et ceux qu’il envoie devant lui. Après la Résurrection et la Pentecôte, il les enverra très loin, dans le monde entier, oui, jusqu’à Corinthe.

Avec notre deuxième lecture, nous quittons nous aussi la Galilée et les signes exceptionnels de Jésus. Paul est son témoin, au cœur de la vie la plus quotidienne des Corinthiens, comme il le fait encore au cœur de notre vie quotidienne, ici à Strasbourg : « Frères ! tout (oui, tout !) ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu ! »

Nous sommes encore, certes, dans le petit espace, étroit, « confiné » dirait-on aujourd’hui, de nos vies, et en même temps, plus encore, dans la foi, dans le vaste espace de la « gloire de Dieu ». Oui, ici et maintenant, à table, dans la rue. C’est là que Paul s’adresse à chacun d’entre nous : « En toutes circonstances, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ ». Rien de moins ! et cela ici et maintenant. Comme nous sommes loin de tout confinement, de tout regroupement sectaire, séparé.

N’oublions pas, frères et sœurs, que nous venons de cette salle du cénacle d’où l’Église est définitivement sortie après les dix jours de confinement entre Ascension et Pentecôte. Il n’y a désormais plus un seul lieu dans le monde où le programme de Galilée ne serait pas applicable: se laisser toucher, toucher, être saisi de compassion. Mange, bois, partage … Le Royaume de Dieu est proche.

C’est le message, inoubliable, de saint Irénée de Lyon : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », oui, l’homme vraiment vivant, n’importe où, n’importe quand.

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