fr. Bernard Durel – homélie du dimanche 6 septembre 2020 – couvent de Strasbourg

Un jour, il y a déjà bien longtemps, je suivais une formation à l’écoute, à l’accompagnement pour des religieux et des religieuses. Un psychanalyste croyant intervenait. Il achevait Une riche réflexion sur la place de la dette dans nos vies. Place souvent lourde, culpabilisante, paralysante. Il conclut : N’ayez de dette envers personne. presque automatiquement j’ai répondu, objecté en quelque sorte, en citant Saint Paul : oui, « sinon celle de l’amour mutuel ». Il m’a regardé, et a dit « oui, exactement ». Quelque chose s’est dénoué en moi et je ne l’ai jamais oublié.

Oui, pour chacun, innombrables sont les tentatives de payer telle ou telle forme de dette, individuelles ou collectives (là, nous parlons chaque jour de milliards!). Quand c’est possible, il faut le faire. Dans la parabole, un patron paie le denier convenu aux ouvriers de la première heure. Jésus invite lui aussi à payer l’impôt à César. Comme déjà Jésus à l’homme riche, Paul nous rappelle les commandements de la Loi : « tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre », etc. Commandements négatifs, interdits qui ne sauraient effacer l’ampleur de notre dette à l’égard des autres/ de la vie. L’accomplissement la loi va infiniment plus loin, oui, jusqu’à l’amour qu’aucun interdit, qu’aucune loi ne sauraient enfermer. S’appuyant sur les paroles entendues depuis le divan, notre psychanalyste constate que la dette, la grande dette ne sera jamais payée, ni payable. Avec Paul encore, il aurait pu dire : « que n’as-tu que tu n’aies reçu ? » Comment en effet pourrais-je rembourser, à l’euro près, ceux et celles qui m’ont engendré, donné le jour, mis au monde ? Beaucoup s’y essaient et les psychanalystes et quelques autres ne risquent pas le chômage.

Le grand malheur de l’humanité, c’est de vouloir nous séparer des personnes, groupes, peuples, langages, espèces animales et végétales, religions etc. auxquels nous ne devrions plus rien. Dualisme diabolique (cette séparation est justement le sens du mot diabol, le contraire du mot symbole qui indique donc ce qui réunit, met ensemble)

Un théologien asiatique posait cette question (à la manière des énigmes bouddhistes, les kōans du zen) : « qu’est-ce qu’une frontière qui ne limite qu’un seul pays ? Une partition qui ne séparerait pas, ne rejetterait pas (ici nous sommes tout proches de la réflexion du Pape François sur ce grand malheur qu’est la « culture du déchet »).

Les multiples impasses (oui, diaboliques) auxquelles aboutissent séparation et dualisme ont trouvé une réponse magnifique chez le poète anglais John Donne :« Aucun homme n’est une île se suffisant à lui-même.Tout homme fait partie du continent, du vaste continent.Si une motte de terre est balayée par la mer, l’Europe s’amenuise,comme s’il s’agissait d’un promontoire, du manoir de tes amis, ou du tien.La mort de tout homme m’amoindrit car je fais partie de l’humanitéet ne fais donc jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »

Frères et sœurs, nous voilà reconduits au cœur de l’accomplissement de la loi : « tu aimeras ton prochain – il n’est donc jamais lointain – comme toi même ». La dette d’amour infinie à l’égard de tel ou tel prochain, tel être, est en effet la manifestation concrète d’une dette plus originelle, absolument impayable. Jean nous le dit dans sa lettre :« En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimé le premier et qui nous a envoyé son Fils » – et il ne cesse de nous l’envoyer à travers tout prochain qui s’approche –. Les scénarios de cette « approche » sont des plus divers (on le voit encore dans la première lecture et notre évangile) : souvent une épreuve qui se révèle être un cadeau, une visite qui appelle notre gratitude – notre eucharistie, ici même et maintenant et à chaque instant de nos journées.Il n’est plus question de s’épuiser à payer dette après dette mais d’aimer car nous sommes originellement et définitivement et inconditionnellement aimés, Alleluia !

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